Le code de justice pénale des mineurs : un rendez-vous manqué

26 août 2020

Le code de la justice pénale des mineurs devait, en principe, entrer en vigueur le 1er octobre 2020, modifiant considérablement la justice pénale des enfants.

L’ordonnance du 2 février 1945 donnait la priorité à l’éducatif sur le répressif.

Si l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs conserve quelque peu cet état d’esprit, l’article L11-2 vient distiller comme un doute sur ces belles intentions : « Les décisions prises à l’égard des mineurs tendent à leur relèvement éducatif et moral ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection de l’intérêt des victimes ».

L’aspect éducatif est contre balancé immédiatement par la lutte contre la récidive.

La philosophie de ce texte est de donner une réponse rapide à la délinquance, dont l’efficacité interroge.

Ce texte aurait aussi pu poser le principe de l’intérêt de l’enfant qui aurait guidé le législateur tout au long de ce texte. Il n’en est rien et c’est regrettable.

Par ailleurs, ce texte pose des difficultés dans sa mise en œuvre : les tribunaux sont-ils vraiment en capacité de mettre en place ces changements procéduraux ?

Ensuite, il est autorisé de penser que certains aspects de ce texte portent atteinte aux droits des enfants.

Enfin, ce texte était une occasion pour la France de se mettre en conformité avec la CIDE, mais elle ne l’a pas saisi.

I. La difficile mise en œuvre de la modification de la procédure

Avec l’ordonnance de 45, le premier passage devant le juge des enfants avait pour objectif la mise en examen du mineur. A cette occasion des mesures éducatives, de suivi ou même de contrôle judiciaire pouvaient être mises en place. Cette mise en examen permettait aux services éducatifs de suivre le mineur pendant une période plus ou moins longue, de le voir évoluer et de ne le juger qu’après cette période de suivi. Cette période permettait aussi aux avocats de demander des actes (expertise confrontation ou autres) et de soulever des nullités devant la chambre de l’instruction.

A priori ce ne sera plus le cas, la première audience statuant immédiatement sur la culpabilité du mineur, il appartiendra à l’avocat de faire des demandes à cette occasion. Pour y faire droit le juge des enfants ou le Tribunal pour enfants devra renvoyer le dossier à une audience ultérieure qui devra se tenir dans un délai de 10 jours à deux mois…

Les praticiens connaissent les délais imposés par les experts, en particulier médicaux, pour savoir qu’une demande d’expertise psychiatrique par exemple ne pourra jamais être réalisée dans le délai. Cette problématique (et je gage qu’il y en aura d’autres) à elle seule interroge sur le bien-fondé d’une césure systématique.

A. Le droit commun : la Césure

Si le principe de la césure existait déjà dans l’ordonnance de 45, elle a très vite été délaissée par les magistrats. Réintroduite par la loi du 10 août 2011, elle a été à nouveau modifiée par la loi du 18 novembre 2016 qui visait à en limiter considérablement les effets. Ainsi dans des cas précis, le juge des enfants pouvait, avant de se prononcer sur le fond, ordonner des mesures pour une période plus ou moins longue.

Le code de la justice pénale des mineurs bouscule complètement cet équilibre et impose une césure du procès pénal et donc deux audiences distinctes, la première sur la culpabilité et la seconde sur la sanction. La première audience doit avoir lieu dans un délai de 10 jours à 3 mois après la garde à vue. Une fois la culpabilité retenue, la seconde audience sur la peine aura lieu dans un délai de 6 mois renouvelable une fois pour 3 mois, soit au plus tard 9 mois après. Pendant ce délai, une mesure éducative judiciaire provisoire (le plus souvent) sera prononcée par le juge et les services de protection de la jeunesse devront réaliser un travail éducatif avec le jeune « condamné » sans peine. A l’issue de la période de 9 mois maximum, le juge des enfants prononcera une peine ou une mesure éducative.

Autour de cette réforme, la défense sera-t-elle en mesure de s’organiser ?
Quand sera-t-elle informée de l’audience ? Dans quel délai obtiendra-t-elle copie du dossier ?

Dans la première phase, des demandes d’actes complémentaires pourront-elles être formulées ? Dans quel délai ? Devant qui ?

En cas de nullité de certains actes, la saisine de la chambre de l’instruction ne sera plus possible, il faudra donc les formuler devant le juge des enfants au moment de l’audience de culpabilité. Cela rappelle étrangement les situations de comparutions immédiates chez les majeurs, ou le juge a la possibilité de joindre l’incident au fond et donc de juger de la culpabilité.

D’autres interrogations apparaitront avec la pratique de ce texte, mais il est certain que ces conditions portent atteinte de façon importante aux droits de la défense en général et aux droits des enfants en particulier.

B. Un principe avec trop d’exceptions

A cette volonté de césure pourtant affichée par le législateur, le code de la justice pénale des mineurs a introduit trop d’exceptions pour avoir la certitude que ce procès en deux temps sera la base du droit commun. Ainsi il est possible de déroger à la règle de la césure du procès lorsque le Procureur de la République, seul (sans débat contradictoire), décidera de saisir le Tribunal pour enfants pour une audience unique aux fins de jugement sous conditions :

• Mineurs de – de 16 ans et peine encourue supérieure ou égale à 5 ans
• Mineurs de + de 16 ans et peine encourue supérieure ou égale à 3 ans

• Et sous conditions de :

o Le mineur a déjà fait l’objet d’une mesure éducative, d’une mesure d’investigation éducative, d’une mesure de sureté, d’une déclaration de culpabilité ou d’une peine prononcée dans le cadre d’une autre procédure
o Le procureur de la république dispose d’un rapport éducatif de moins d’un an

• Ou bien
o Si le mineur a refusé les opérations de relevés signalétiques…

De surcroît, le juge des enfants peut sur décision motivée (après avoir recueilli les observations des parties) statuer en audience unique sur la culpabilité et la sanction du mineur (sous les mêmes conditions de connaissance de la situation du mineur visées supra).

Enfin après une instruction, le mineur sera jugé (culpabilité et peine) mais cela reste cohérent dans la mesure où le juge d’instruction aura fait l’étude de la personnalité du mineur.

Si la dernière exception peut s’admettre, il en va plus difficilement des autres. Quelles seront là encore les possibilités pour la défense de jouer son rôle face à ces exceptions ? De surcroît, le parquet ayant la maîtrise de ces orientations, que pourra faire le juge des enfants ?

II. L’occasion manquée de la France d’appliquer la CIDE

La Convention internationale des droits de l’enfant signée le 20 novembre 1989 a été ratifiée par la France le 26 janvier 1990.

Elle préconise de fixer un seuil en deçà duquel aucun enfant ne peut être considéré comme responsable pénalement. La France rappelée à l’ordre à plusieurs reprises, par le comité des droits de l’enfant (la dernière fois en 2016) n’a pas prévu d’âge minimum de responsabilité pénale. Les condamnations ou non reposent sur la notion très floue de discernement.

Cependant cette notion de capacité de discernement est très imprécise et laissée à l’appréciation des magistrats.

La création d’un code de justice des mineurs, et la refonte du système était l’occasion pour la France de se mettre en conformité avec les exigences de la CIDE.

C’est une occasion ratée, car même si l’article L11-1 du CJPM énonce : « Lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables.
Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement » .

Cette formulation « Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement », entraine de fait une insécurité juridique.

En effet, qui va décider qu’un mineur de 12 ans à ou non suffisamment de discernement pour être considéré comme pénalement responsable ?

Le parquet sans doute qui à « une grande faculté d’appréciation du discernement concernant les mineurs ».

Le défenseur des droits, lui-même, considère que la modification opérée par le code de la justice pénale des mineurs est insuffisante et réitère sa position selon laquelle il convient de fixer un âge, qui ne saurait être inférieur à 13 ans, en dessous duquel seules des mesures éducatives devraient être prises .

En conclusion

Ce texte voté dans l’urgence alors même que rien ne le justifiait, est donc un rendez-vous manqué par le droit français.

Il permet d’exclure les mineurs ancrés dans la délinquance de la mise à l’épreuve éducative qui est au cœur de cette réforme et qui sont ceux qui en ont le plus besoin (et les MNA).

Il augmente les pouvoirs du parquet, il supprime toute instruction par les juges des enfants, (réservée maintenant au seul juge d’instruction pour les faits criminels ou complexes).

Enfin et surtout même si l’avocat est présent pour assister le mineur dans toutes les phases de la procédure, ce texte limite considérablement les moyens de la défense dans leur application concrète.

Tout cela pour ça…